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LE LOUP DE VIGNIEU

Une bête féroce rôdait depuis un certain temps déjà, en notre beau pays du Bas-Dauphiné.

Pour apaiser sa "faim de loup ", elle commettait des ravages dans la région comprise entre La Tour du Pin, Bourgoin et Morestel. Les petits animaux domestiques étaient ses victimes, mais elle avait une prédilection marquée pour la gente canine. Ces braves gardiens de nos logis étaient surpris et étranglés la nuit, jusque dans les cours des fermes, puis entraînés et dévorés non loin de là. Le coup fait, le malfaiteur s'en allait, toujours sans être vu, et personne encore n'avait pu l'identifier.

Ses méfaits ne se comptaient plus de La Batie à Corbelin, Nivolas, Saint-Chef, Trept, Cozance, Sermérieu et autres villages.

Les rumeurs allaient bon train : on parlait d'un lion, d'une hyène, même d'un loup.

Aussi la panique s'emparait de tous les braves gens de la région ; les parents accompagnaient leurs enfants à l'école, s'ils en étaient un peu distants, ou s'ils devaient traverser les bois pour s'y rendre. Et quoiqu’habituellement pas peureux, les femmes et même quelques hommes ne sortaient plus la nuit de peur de rencontrer le fauve. Mais chacun était en alerte.

Or, au petit matin du 12 janvier dernier, alors qu'une couche de neige recouvrait le sol, Monsieur Juppet, d'Ossée, sur la commune de Sermérieu, découvrit, tout près de son domicile, des traces suspectes sur la neige. Suivant ces traces et à quelque distance de là, près d'un petit bois, il se trouva en face des restes d'un énorme chien loup, fraîchement dévoré, qu'il reconnut pour être celui de son voisin.

De là, les pas du fauve se dirigeaient vers le petit bosquet ! Était-il encore là ?… La chose était possible ! Et sitôt l'alerte fut donnée.

Prévenu par téléphone, M. Brunet, chef de gendarmerie à Morestel, fort des instructions de son administration en cas de présence supposée du fauve dans son secteur, se rendit immédiatement sur les lieux, accompagné de l'un de ses hommes, afin d'organiser une battue. Là ils rencontraient déjà quelques chasseurs, et c'est ainsi qu'une dizaine de fusils commencèrent la recherche du fauve, enfin signalé.

En effet, au bout de quelques instants, un grand loup était délogé du bosquet. M. Juppet Albert l'aperçut et put lui tirer un coup de fusil, néanmoins l'animal s'enfuit, mais les traces de sang qu'on relevait sur son passage dans la neige confirmaient qu'il avait été blessé.

Il était 10 heures environ.

Après une incursion sur la commune de Passins, la bête revint dans la direction du sud, traversant les territoires des communes de Sermérieu, Vignieu puis Vasselin.

Les chasseurs de ces trois communes, prévenus, s'étaient joints toujours plus nombreux sur les traces du fauve. Celui-ci semblait avoir gagné les grands bois entre Vasselin et Vignieu, car ici des traces fraîches puis d'autres plus anciennes laissaient supposer que c'était son repaire habituel.
Aussitôt ces bois furent cernés, puis fouillés par les chasseurs.

Effectivement, vers les 16 heures, se sentant traqué de toutes parts et flairant le danger pour lui de tant de gens à travers bois, l'animal essayait de quitter les coteaux boisés. C'est ainsi qu'il fut tiré sur Vasselin, à l'orée du bois, par une dizaine de chasseurs disposés en tirailleurs, au moment où il se disposait à gagner le plateau.

Il se réfugia à nouveau dans les taillis et prit la fuite en direction de Vignieu.

Deux chasseurs, M. Drevet Joseph et Budin Roger, placés en embuscade dans les bois de M. Pradel, eurent la chance de le voir venir au grand trot et à pas de loup à travers bois. Arrivé à quelque vingt mètres des chasseurs prêts à faire feu, la bête s'arrêta, flairant probablement leur présence. A ce moment, ceux-là de deux coups de feu couchèrent l'animal ; il se releva et fit demi-tour ; deux seconds coups le tombèrent à nouveau ; il se releva encore puis dévala la pente pendant encore une centaine de mètres, suivi des deux chasseurs rechargeant leurs fusils. Se sentant probablement défaillant, il s'arrêta sur le talus bordant le chemin, regarda autour de lui, gratta le sol et se coucha, puis il se retourna, regardant venir les deux chasseurs. Ceux-ci, arrivés à quelque vingt mètres, lui donnèrent le coup de grâce de trois nouveaux coups de feu. Autour de son corps, encore secoué par l'agonie, les chasseurs se rassemblèrent. La mémorable battue était terminée. Ceci se passait à quelque trois cents mètres du village de Vignieu. Il était seize heures quinze, les enfants allaient sortir de l'école.

Le loup mort fut ramené par les chasseurs triomphants sur la place de Vignieu. Dans une ambiance de fraternelle sympathie, on but le vin de la victoire, offert par la municipalité et la société de chasse de Vignieu. Aux cabarets Borel, Clavel et Baudrand le bon vin de Vignieu coula à profusion dans les verres. Pendant ce temps, la nouvelle de la mort du loup se répandait comme une traînée de poudre.

En quelques heures, nombreux furent ceux qui vinrent l'admirer, de Vignieu et ses environs, notamment de Bourgoin, La Tour du Pin et Morestel. La presse de Lyon et Grenoble lui fit les honneurs de mainte et maints éclairs de magnésium. Puis vint pour ces braves chasseurs, harassés par cette poursuite du fauve dans la neige, l'heure de rentrer chez eux. Avant de se quitter, d'un commun accord, ils convinrent que le loup serait "exploité " par les sociétés de chasse participantes à la battue, que le soir même les chasseurs de Sermérieu l'emmèneraient à seul fin que tous dans leur famille puissent le voir.

Le surlendemain, jeudi jour de marché à Bourgoin, la bête devait être exposée payante à l'avantage des chasseurs, puis il serait décidé ensuite de la conservation de sa peau. Mais les circonstances obligèrent à modifier ces prévisions. Le temps glacial se radoucit tout à coup, si bien que le lendemain mercredi soir, alors que le loup se trouvait à la gendarmerie de Morestel le Dr. Benoît, vétérinaire, conseilla l'urgence de sa naturalisation, pour assurer la bonne conservation.

Le loup fut donc confié, sur l'initiative des personnes présentes, notamment Monsieur Perrin, Maire de Morestel, aux rédacteurs du journal " Le progrès de Lyon " qui se trouvaient là, et s'offraient pour emmener gracieusement le loup et le faire naturaliser à Lyon, aux frais de leur journal. Ainsi les choses furent faites.

Les chasseurs Drevet Joseph et Budin Roger, auteurs de la mort du loup à Vignieu le 12 janvier 1954, et la société de chasse de Vignieu qui les assiste, confondant leurs intérêts, et conscients des devoirs qui découlent de leurs droits sur la propriété du loup, déclarent ce qui suit " animés par un esprit de fraternelle concorde, avec le souci d' assurer à la postérité un trophée de chasse rare et d'une valeur certaine, afin aussi de trouver une solution heureuse et raisonnable, qui consacre les mérites de chacun des participants à la mort du loup et à sa conservation, nous abandonnons nos droits exclusifs sur la propriété du loup à l'avantage de notre petite circonscription géographique de Vignieu, Vasselin, Sermérieu et Morestel, afin que le loup naturalisé fasse partie désormais du patrimoine commun à ces localités. " Cette affirmation étant entendue et, en conséquence, entre les soussignés ci-dessous désignés : M. Rigolier Henri, Maire de Vignieu, M. Drevet Joseph, chasseur de Vignieu, M. Budin Roger, chasseur de Vignieu, M. Charvet Léon, président de la société de chasse de Vignieu, M. Hérail, Maire de Sermérieu, M. Hullard, Président de la Société de chasse de Vasselin, M. Juppet Albert, chasseur à Sermérieu, M. Reynier, Président de la société de chasse de Vasselin, M. Brunet, brigadier-chef de la gendarmerie à Morestel, M. Perrin, Maire de Morestel.

Il est convenu ce qui suit d'un commun accord : Le loup naturalisé sera la propriété commune et indivisée des localités de Vignieu, Sermérieu et Vasselin. Morestel où il sera déposé, en aura la garde et l'entretien. Sitôt la naturalisation du loup terminé, son retour sera assuré par M. Perrin, Maire de Morestel, assisté dans cette mission d'un délégué par localité intéressée.

Pour ce retour toute voiture, autre qu'une voiture de presse pourra utiliser. Aucun journaliste ne sera admis dans cette voiture. L'itinéraire de retour sera le suivant, venant de Lyon, Vignieu, Sermérieu, Morestel et Vasselin. Une halte sera observée à chacune de ces localités. Le jour-même le loup reviendra à Vignieu qui le gardera pendant une durée d'un mois. Sermérieu le prendra sitôt après pour une égale durée d'un mois. Pendant cette période de trois mois où le loup sera à Vignieu, Sermérieu et Vasselin, une publicité commerciale pourra être faîte et toutes les sommes recueillies à cette occasion seront partagées dans les proportions suivantes, savoir : 52 % à la société de chasse de Vignieu, 40 % à la société de chasse de Sermérieu 8 % à la société de chasse de Vasselin. Après ces trois mois, le loup ira à Morestel, qui en aura la charge.

Là sera désormais son refuge. Un tronc sera placé à l'avantage des sociétés de chasse précitées, avec l'inscription : n'oubliez pas les chasseurs du loup ". Vignieu en aura la clé et il ne sera ouvert qu'en présence des intéressés, qui se partageront le contenu, suivant les pourcentages déjà indiqués. Il est convenu en outre que chaque année la localité de Vignieu pourra prendre possession du loup du 1er au 15 août, ainsi que deux autres fois, cinq jours consécutifs chacune, à n'importe quelle époque de l'année. Sermérieu pourra le prendre du 16 au 31 août. Vasselin pourra aussi le prendre, sur sa demande, une fois l'an.

Les localités qui prendront le loup auront à charge tous les frais occasionnés par le transfert, et seront responsables de son entretien et sa bonne conservation pendant le temps passé chez eux. Le loup sera mis à la disposition des intéressés moyennant un préavis d'un mois adressé par lettre à M. le Maire de Morestel, qui en accusera réception dans les 48 heures. Pendant les périodes au cours desquelles elles seront détentrices du loup, les localités de Vignieu, Sermérieu et Vasselin, pourront, à leur gré, disposer de l'animal sur leur territoire et faire toute la publicité désirée. Le profit fait à cette occasion restera acquis à chacune d'elles qui en disposera librement.

La commune de Morestel pourra utiliser le loup comme attraction à ses fêtes. Elle devra alors verser à l'avantage des trois sociétés de chasse de Vignieu, Sermérieu et Vasselin, les 50% de sa recette nette. Si une localité autre que Vignieu, Sermérieu, Vasselin, Morestel désirait avoir le loup à sa disposition, pour une raison quelconque, une fête par exemple, celui-ci ne deviendrait disponible qu'avec l'assentiment de la majorité des présidents des trois sociétés de chasse des localités de Vignieu, Sermérieu, Vasselin et le Maire de Morestel. Le prix de location convenu sera réparti auxdites sociétés de chasse déjà désignées, suivant le pourcentage convenu. La commune emprunteuse sera responsable pécuniairement de sa conservation et des dégâts pouvant lui être occasionnés, et à plus forte raison de sa perte totale. Le loup est estimé à ce jour à une somme de deux cent mille francs, évaluation qui pourra être modifiée par un accord entre les quatre responsables, sociétés de chasse ou, à défaut, municipalités des localités copropriétaires, et le maire de Morestel.

Il sera assuré tant contre le vol que contre l'incendie pour une somme égale à son évaluation, en tous lieux, par la commune de Morestel où le loup résidera habituellement. Si, sur l'initiative de l'une des parties, le loup était appelé à être exposé en dehors du territoire de nos localités, le consentement à la majorité des quatre responsables sus désignés sera nécessaire. Les recettes produites seront aussi partagées entre les trois sociétés de chasse suivant toujours le même pourcentage. Toutefois, les trois bénéficiaires devront participer en commun à l'effort de production, faute de quoi celui qui n'y aurait pas contribué, ne pourra prétendre à aucune part, et les recettes seront alors partagées aux autres parties, suivant leur pourcent respectif. Il est particulièrement recommandé d'apporter les plus grands soins à l'animal lors de son transfert dans les localités susdites et autres, de façon à le conserver le plus longtemps possible.

SI une détérioration était produite par manque de vigilance, la localité responsable serait tenue à la réparation qui s'imposerait. En cas de perte totale de l'animal, l'indemnité consécutive versée par l'assurance, ou en d'aliénation de la propriété de la bête, le prix de cession, seront répartis de la façon suivante : 25 % à Morestel qui en assure la garde, l'entretien et la garantie contre le vol et l'incendie. Les 75 % restants reviendront aux trois sociétés de chasse déjà désignées et suivant les pourcentages déjà cités. A défaut de sociétés de chasse dans les trois localités de Vignieu ,Sermérieu et Vasselin, les municipalités en tiendront lieu et place, chaque fois que la chose sera nécessaire, tant pour décider que pour recevoir. Pour les votes entre les quatre responsables, la voix de Vignieu aura prééminence et fera la décision. Au bas de la dépouille de la bête sera apposée une inscription ainsi conçue : Loup tué le 12 janvier 1954, sur la commune de Vignieu, par Messieurs Drevet Joseph et Budin Roger, à 16heures 15, après avoir été blessé sur la commune de Passins le matin vers dix heures, par Monsieur Juppet Albert de Sermérieu, lors d'une battue organisée par le chef de gendarmerie Brunet, avec l'autorisation de Messieurs Rigolier, Herail et Blanc, respectivement Maires des communes de Vignieu, Sermérieu et Vasselin et la participation des sociétés de chasse de Vignieu, Sermérieu et Vasselin, sous les ordres de leurs présidents respectifs Charvet, Hullard et Reynier et Guicherd Louis, garde-chasse délégué de Vignieu.

Fait à Vignieu, Sermérieu, Vasselin, Morestel Le Autant d'exemplaires que de parties